
Références
- Titre : « Lettre à une jeune nation »
- Auteur : Paulo Freire
- Revue : L’alphabétisation, un enseignement pour la liberté, Le Courrier de l’UNESCO, Paris (France), juin 1980, p.27-30.
- Date de l’original : 1979 ?
- Période freirienne : Exil (1964-1979)
Catégories : Articles et lettres / Publications de l’UNESCO
Notes : Cet article est un extrait de la « Lettre aux animateurs et animatrices », écrite par Paulo Freire et publiée par la Commission coordinatrice nationale des cercles de culture populaire de la République de Sao Tomé-et-Principe.
Lettre à une jeune nation
[Introduction de l’éditeur] La République démocratique de Sao Tomé-et-Principe est formée de deux îles volcaniques situées dans le golfe de Guinée, à quelque 300 km de la côte africaine. Ancienne colonie portugaise, ce petit pays (964 km2, moins de 100 000 habitants) a acquis l’indépendance en 1975 et est devenu membre de l’UNESCO le 22 janvier 1980. Pays essentiellement d’agriculture et d’élevage, ses principales productions sont le cacao, le café, l’huile de palme et le coprah. Le texte que nous publions ici vient d’un manuel d’alphabétisation intitulée « Lettre aux animateurs et animatrices », écrit par le pédagogue brésilien Paulo Freire(*) et publié par la Commission coordinatrice nationale des cercles de culture populaire de la République de Sao Tomé-et-Principe, en vue de la campagne d’alphabétisation qui arrive à son terme dans ce pays. Le manuel est écrit sous forme de lettre adressée aux alphabétiseurs, appelés ici « animateurs culturels ». Il s’agit d’une application concrète de la méthode de « la prise de conscience » mise au point par Freire.
(*)Paulo frère, célèbre pédagogue brésilien, a été professeur d’histoire et de philosophie de l’éducation à l’université de Recife (Brésil), et professeur invité à Harvard (États-Unis). Il est l’auteur d’une méthode réputée d’alphabétisation, la « prise de conscience » ou « l’éducation libératrice », qu’il a commencé d’appliquer dans son pays natal, puis au Chili et dans d’autres pays. Il travaille actuellement comme consultant du Conseil œcuménique des Églises à Genève. Parmi ses œuvres il faut citer L’éducation, pratique de la Liberté et La méthode d’alphabétisation des adultes.
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La tâche qui nous incombe, donner la possibilité de lire et d’écrire – ce qui leur était interdit sous le régime colonial – à de nombreux camarades et tout particulièrement à ceux habitant à la campagne, est une tâche politique. La décision même d’alphabétiser est un acte politique. Il faut, par conséquent, prendre garde aux insinuations parfois naïve, parfois habile, qui nous sont faites pour tenter de nous convaincre que l’alphabétisation est un problème technique et pédagogique et qu’il ne convient donc pas de le « mélanger avec la politique ». En effet, il n’existe ni éducation ni alphabétisation neutre. Toute forme d’éducation comporte en soi une intention politique.
C’est pourquoi, en tant qu’« enseignants-enseignés » du peuple, nous nous devons d’être de plus en plus clairs quant à notre option politique, et vigilants quant à la cohérence entre le choix dont nous nous réclamons et le travail que nous réalisons. Il nous faut aussi être clairs dans le respect de nos objectifs et des personnes à qui s’adresse notre tâche éducative. Et cette clarté ne fera que s’accroître si, de manière militante et critique, nous nous donnons à notre tâche pratique et apprenons par elle comment agir. Le vrai militantisme et celui qui nous enseigne aussi que c’est seulement par l’unité, la discipline et le travail avec le peuple que nous parviendrons à devenir des éducateurs à la hauteur du choix révolutionnaire que nous proclamons.
À Sao Tomé-et-Principe, nous avons davantage besoin de militants lucides qui parviennent à devenir des spécialistes grâce à une pratique de travail en accord avec le peuple, que d’experts éloignés du peuple, ne croyant pas en lui et incapable de communiquer avec lui.
L’alphabétisation, comme toute forme d’éducation, étant un acte politique, est également un acte de connaissance. Ce qui veut dire que dans les relations entre enseignants et enseignés, il entre toujours en jeu quelque chose que l’on cherche à connaître. En abordant ce problème, nous nous devons d’insister, une fois encore, sur la correspondance indispensable entre notre option politique et notre pratique éducative. Pouvons-nous, par exemple, en tant qu’éducateurs révolutionnaires, avoir le même comportement envers les gens à éduquer, que le professeur colonial qui se comportait avec « ses » élèves conformément à une idéologie colonialiste ? Devant cette question, le problème fondamental ne consiste pas simplement à se dire qu’il faut être différent du professeur colonial, mais à adopter une pratique consciente et totalement opposée à la sienne.
Dans l’éducation coloniale, l’enseignant, en règle générale, nous transmettait « ses » connaissances et notre travail était « d’absorber » ces connaissances qui, de surcroît, falsifiaient notre réalité en fonction des intérêts des colonisateurs. L’alphabétiseur colonial enseignait le b a ba que l’alphabétisé devait répéter afin de le mémoriser.
Notre révolution en marche exige aujourd’hui que nous soyons cohérents par rapport à elle à tous les niveaux de notre action. C’est pourquoi nous ne parlons plus de cours du soir pour adultes mais de Cercle de culture ; nous ne disons plus analphabètes mais alphabétisants ; nous ne parlons plus d’alphabétiseurs mais d’animateurs culturels ; nous ne parlons pas de cours, mais de débat, de la réalité même du peuple à laquelle se réfèrent les mots générateurs et qui est représentée dans la codification que l’on analyse et discute avec lui.
C’est également pourquoi dans une société où « le silence n’est plus possible », le rôle de l’animateur ou de l’animatrice culturels envers les alphabétisants du cercle de culture, n’est pas celui d’un transmetteur de savoir, mais de quelqu’un qui, à travers le dialogue, essaie de connaître en même temps que les alphabétisants.
D’après les principes politiques qui régissent notre mouvement, l’alphabétisation consiste pour les alphabétisants et les animateurs culturels à « lire et écrire ensemble leur propre réalité, en pensant leur monde de manière critique, s’insérant, avec une conscience de plus en plus claire, dans la réalité en mutation ». D’où la nécessité de ne pas rester au simple b a ba, mais de parvenir, peu à peu, avec les camarades alphabétisants, à la « lecture » qui sera une « relecture » de notre réalité. D’où, également, la nécessité de mettre en relation alphabétisation avec production et santé, et de relier cette alphabétisation, dans la mesure du possible, à des programmes concrets d’action au sein des communautés.
Et puisque c’est là notre manière d’entendre l’alphabétisation, à savoir, en tant qu’action culturelle au service de la reconstruction de notre pays et non pas simplement comme un travail d’enseignement de la lecture et de l’écriture, il se peut qu’il nous faille, dans certaines régions, centrer tout d’abord notre travail, avec la population, sur la « lecture », la « relecture » et l’ » écriture » de la réalité et non sur l’apprentissage de la langue.
Qu’entendons-nous par là ? Simplement que l’essentiel dans des situations déterminer, est d’organiser la population en groupe et de discuter, au sein de ces groupes, de sa réalité, mais en passant toujours par des actions concrètes ; d’analyser avec elle les conditions locales et de trouver des solutions à certains de ses problèmes dans le domaine de la santé, de la production, etc. ; de l’encourager à s’organiser autour d’un projet de travail en commun, par exemple, ou de ferme collective. Et c’est cette pratique de « lecture », « relecture » et « écriture » de la réalité qui pourra inciter cette population à vouloir lire et écrire aussi des mots, aptitude qui finira par avoir pour elle une signification réelle.
Dans d’autres cas, l’action culturelle commencera par l’alphabétisation elle-même. Il est alors important d’entreprendre, à partir de celle-ci, l’élaboration de projets qui donnent à la population la possibilité d’agir sur la réalité locale. C’est ainsi que s’établit une dynamique entre le travail éducatif des Cercles de culture et la pratique transformatrice de la réalité de sorte qu’il y a activation et réactivation réciproques.
Il convient d’aborder maintenant certains points qui, une fois clarifiés, nous aideront à mieux comprendre le travail des Cercles de culture ces points sont : le mot générateur, la codification et la décodification.
a) Un mot générateur est un mot qui, choisi en fonction de certains critères, permet, une fois ses syllabes décomposées et grâce à la combinaison de ces syllabes, la formation d’autres mots. Si nous prenons, par exemple, le mot MATABALA qui désigne un tubercule très consommé à Sao Tomé, et si nous le décomposons en syllabes, nous obtenons :
ma, me, mi, mo, mu
ta, te, ti, to, tu
ba, be, bi, bo, bu
la, le, li, lo, lu
Nous appelons alors « famille » chaque ensemble de syllabes ou « morceaux » : nous avons ainsi la « famille » de ma, me, mi, mo, mu ; celle de ta, te, ti, to, tu, etc.
Or, à partir de ces quatre familles il est possible de créer des mots comme :
mata (touffe (d’herbe))
mate (maté, infusion)
meta (but, objectif)
mimo (câlinerie)
lata (boîte en fer blanc)
tela (tissu, étoffe)
tomo (je prends)
tomo (tomate)
tema (thème)
cola (queue)
libelo (pamphlet)
batuta (baguette)
bebo (je bois)
batata (patate)
etc.
Mais il convient d’insister sur le fait que le rôle de l’animateur ou de l’animatrice en ce qui concerne les familles syllabiques, n’est pas de former les mots, mais d’encourager les alphabétisants à les créer eux-mêmes.
Cependant, chaque fois que l’animateur remarquera que les alphabétisants se montrent timides ou hésitent à courir le risque de les former tout seuls, il devra les encourager en créant lui-même deux ou trois vocables. C’est ce qui arrive généralement lorsque l’on travaille avec les premiers mots générateurs.
Les mots générateurs sont toujours associés des thèmes dont on devra discuter dans les Cercles de culture. Le mot « matabala » , par exemple, permet d’établir des discussions autour d’une série de thèmes comme celui de la production, de la nécessité de diversifier les cultures ou sur les qualités nutritives de la plante, ce qui renvoie aux problèmes de la santé. Celui-ci, à son tour, de même que le thème de la production, doit déboucher sur une analyse d’ordre politique comme, par exemple, la participation consciente de la population tant au niveau de l’augmentation de la production qu’à celui de la sauvegarde de la santé.
Les mots générateurs ne sont pas choisis au hasard, mais selon des critères déterminés : leur richesse thématique, c’est-à-dire la variété des thèmes auxquels ils renvoient et qui, relier à la réalité locale des alphabétisants, permettront l’analyse de quelques-uns des aspects de la réalité nationale ; leur richesse phonétique ; les possibilités qui s’offrent aux alphabétisants de vaincre petit à petit des difficultés qui vont se présenter tels que les sons LHA, NHA, les double consonne, etc.
b) Nous devons dire, de manière simple que la codification est la représentation graphique d’un aspect de la réalité. Le mot générateur est écrit au-dessus de la codification et se rapporte soit à celle-ci dans son ensemble, soit à l’un de ces éléments.
Dans le premier cas, nous prendrons pour exemple (dans le Premier Cahier de Culture Populaire, ouvrage destiné aux alphabétisants et aux animateurs pour les guider dans leur travail) le mot générateur PUEBLO (peuple) dont la codification est la photographie d’un meeting populaire le Jour de l’Indépendance, où l’on voit le peuple rassemblé sur la place publique. Dans le deuxième cas le mot BONITO (bonite) qui est le nom d’un poisson, et dont la codification ne montre pas seulement un poisson, mais une situation dans laquelle figurent d’autres éléments.
Il est important de souligner que la codification doit toujours être prise comme un défi au groupe et à l’animateur, comme un « objet” destiné à être analysé par le groupe avec la participation de l’animateur et non comme une « aide apporter à sa classe par ce dernier ».
c) La décodification est le fait d’analyser la codification en décodifiant la codification qui représente quelques aspects de la réalité, nous « lison » la réalité. Il est bon d’insister sur le fait que « lire » la réalité, pour l’animateur, n’est pas s’annuler en se bornant à écouter ce que dit le groupe ni faire, lui, la décodification à la place du groupe. La décodification est un dialogue des alphabétisants entre eux. Et cette « lecture de la réalité » se transforme forcément en une « relecture » au cours de laquelle animateurs et alphabétisants peuvent aller au-delà d’une compréhension naïve de leur monde.
Le rôle de l’animateur, dans cette tâche, est aussi important que délicat. Tout en respectant la manière qu’a le groupe de « lire » sa réalité, c’est-à-dire sa manière de l’appréhender, il doit susciter des problèmes afin de permettre au groupe de dépasser le mode naïf sur lequel se fait cette « lecture ».
Il nous est à présent possible de comprendre ce qu’est un Cercle de culture. C’est une école différente où il n’y a ni professeurs ni élèves dans le sens traditionnel du terme. Ce n’est pas un centre de diffusion des connaissances, mais un lieu – salle d’école, pièce dans une maison, ombre d’un arbre, cabane construite par la communauté elle-même – où un groupe de camarades se retrouve pour discuter sur sa façon de travailler, sur la réalité locale et nationale, et pour apprendre aussi à lire et à écrire, le cas échéant.
Dans cette école différente, le professeur traditionnel – celui qui dit les choses que l’élève répète et illustre – a été remplacé par l’animateur culturel qui doit être un militant lucide. Au lieu de l’élève passif, de l’analphabète qui se contente de recevoir les leçons du professeur, apparaît l’alphabétisant aussi participant dans les activités du Cercle que l’animateur ou l’animatrice eux-mêmes. Et au lieu des leçons de l’abécédaire que les élèves devaient illustrer par des dessins et répéter par cœur, apparaissent les thèmes générateurs auxquels se réfèrent les mots générateurs, représentés les uns et les autres dans les codifications.
Il est intéressant, après ce qui vient d’être dit, de nous arrêter un peu sur le travail de l’animateur ou de l’animatrice culturels dans un Cercle de culture. Tout d’abord, comme nous l’avons dit et répété, ce travail est à la fois politique et pédagogique. Ce n’est pas celui d’une personne qui va apprendre aux autres à lire et à écrire d’un point de vue purement technique et prétendument neutre. Il ne se borne donc pas, ainsi que nous l’avons affirmé plus haut, à des débats au sein du Cercle, mais doit, au contraire, s’étendre à la vie même du quartier, du village, où se trouve le Cercle.
Il conviendrait, pour le travail, que les animateurs ou les animatrices prennent l’habitude de noter sur un cahier personnel les choses ou les faits qui ont retenu leur attention dans la région où ils vivent et où se trouve le Cercle. Il devrait avoir la discipline d’en faire autant pour tout ce qui se passe au cercle. Ce cahier de notes les aidera énormément à progresser dans leur travail pratique et sera d’une grande valeur pour les séminaires d’étude que nous devons organiser entre nous.
Il est également possible, pour les animateurs, de proposer de temps à autre, aux camarades alphabétisants, comme thème de discussion, non seulement une ou deux des observations qu’ils auront faites au cours des réunions du Cercle, mais aussi celles qui résulteraient de leur expérience au sein de la communauté. Il est cependant nécessaire d’éviter les commentaires à caractère personnel et aussi de veiller à ne jamais perdre le respect dû au peuple. En proposant au groupe une de ses observations, l’animateur doit avoir l’attitude de quelqu’un qui cherche à comprendre et s’interroge, et non faire un discours sur le fait observé. Ce qui ne signifie pas qu’il lui faille se garder d’exprimer sa manière de comprendre les faits.
En effet, si l’animateur, ainsi qu’il semble ressortir de cette page, ne doit pas faire tourner les activités du Cercle autour de sa personne, être le seul à parler, avoir toujours le dernier mot, donner l’impression d’être le seul à savoir, il ne faut pas non plus qu’il s’annule ou s’abstienne.
L’animateur ainsi que les alphabétisants en tant que participants au Cercle de culture, doivent devenir des « présences agissantes ». Dans la perspective politique que nous défendons, et en accord avec les principes de notre mouvement, il ne s’agit pas, pour l’animateur, de manipuler les enseignés, pas plus qu’il ne s’agit de les laisser livrés à eux-mêmes. En un mot, pas de dirigisme, mais pas non plus de spontanéisme.
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[La méthode d’alphabétisation des Cercles de culture présentée par l’éditeur :]
Apprendre à lire est un acte politique et marque une étape vers la pleine participation de l’homme à la vie de la société. Les hommes, y compris les analphabètes, sont créateurs de culture. Les conditions de vie ne dépendent pas du hasard, mais son œuvre de l’homme et, pour cette raison, peuvent changer. La différence entre la nature et la culture se fonde sur la distinction entre l’homme et les autres animaux, et, dans celle-ci, le langage écrit et parlé joue un rôle important. Tels sont quelques-uns des principes sur lesquels est fondée l’éducation des adultes conçue par le célèbre pédagogue et sociologue brésilien Paulo Freire. Après quinze ans d’expérience dans ce domaine, Freire a créé à Recife, sur la côte nord-est du Brésil, des « centres de culture » où les paysans à l’aide d’une série de 10 tableaux ou diapositives, sans textes ni représentations écrites, exprimaient et analysaient leur propre réalité, processus que Freire appelle la « prise de conscience », et acquéraient la conscience de pouvoir transformer leur situation existentielle. Nous reproduisons sur ces pages quatre de ces représentations plastiques, œuvre de l’artiste Francisco Brennand.
[1er tableau] Distinction entre nature et culture. Le coordinateur du centre de culture pose des questions telles que : Qui a construit le puits ? Pourquoi l’a-t-on creusé ? Qui a fait la maison, la houe, le livre ? Qui a fait l’arbre, le porc, les oiseaux ? En quoi l’arbre se différencie-t-il du puits ? Les participants arrivent finalement à la conclusion que l’homme se sert des matériaux naturels pour changer sa situation et créer de la Culture. Grâce à la discussion, ils apprennent les mots qui leur permettent d’éclaircir leur concept.
[2e tableau] Relation entre les êtres humains. Les personnes sont créatrices de culture, pas les animaux. Les êtres humains peuvent communiquer entre eux. Le monde naturel est réel et il peut être connu grâce à la recherche et au dialogue. Seul le dialogue est possible entre des êtres égaux.
[3e tableau] Transformation de la nature en culture. Non seulement l’argile a été convertie en un récipient, mais les fleurs, qui dans les champs appartiennent à la nature, se transforment en un élément de culture quand on les arrange dans un vase. En outre, les fleurs sont représentées dans la décoration du vase même : la nature, transformée en culture, se transforme à son tour en un symbole graphique.
[4e tableau] Le dernier de la série des 10 tableaux permettant aux participants, qui se reconnaissent et s’identifient facilement dans la peinture, d’analyser le travail et la fonction du cercle de culture : quelle est la signification de l’expérience, qu’est-ce que le dialogue, que signifie développer la conscience personnelle. Parvenus à cette image, les participants ont déjà acquis une grande confiance en eux-mêmes, ils se sentent fiers de leur culture et expriment leur désir d’apprendre à lire. On passe alors à la seconde étape, celle de l’alphabétisation proprement dite qui, selon la méthode de Freire, peut se faire en un maximum de 30 heures.
L’alphabétisation en 30 heures
L’alphabétisation des populations rurales ne pose pas de problème insoluble dès lors qu’elle ne leur impose pas une autre culture et qu’elle se fait à partir des éléments de la vie quotidienne de la communauté. Paulo Freire et ses collaborateurs ont découvert qu’il ne fallait pas plus de 17 mots générateurs pour apprendre à lire en portugais et en espagnol. Selon sa méthode, appliquer dans le nord-est du Brésil, en divers pays d’Amérique latine ainsi qu’à Sao Tomé-et-Principe, les idées représentées par les mots doivent être l’objet d’une discussion critique avant d’analyser les mots proprement dits en tant que symboles graphiques. Voici un exemple de cette expérience au Brésil : pour l’étude du mot tijolo (la brique, en portugais), on montre d’abord aux alphabétisants un tableau (codification) qui représente la construction d’un mur, sans que le mot soit écrit. C’est seulement lorsque le groupe à discuter (décodification) de la construction fait avec des briques, du problème de l’habitat dans la communauté, etc., qu’on montre un second tableau représentant la même scène avec le mot écrit (tijolo). Sur la troisième image, tableau ou diapositive, apparaît seulement le mot. On procède de la même façon pour les 16 autres mots. L’alphabétisation du groupe prend à peine 30 heures.