Références

  • Titre : Éducation et libération (document de travail)
  • Auteur : Paulo Freire
  • Publication : Non publié (archive du Centro de Referência Paulo Freire, Brésil)
  • Date du séminaire original : 1973
  • Période freirienne : Exil (1964-1979)

Catégories : Conférences et séminaires

Notes : Il s’agit d’un document de travail rédigé par Paulo Freire pour le séminaire de l’Institut d’action culturelle (IDAC) de Paris. Ce texte a été publié sous une forme légèrement modifiée sous le titre : « Une pédagogie de la liberté », dans : Preuves (cahiers mensuels du congrès pour la liberté de la culture) n°14, Paris, 2e trimestre 1973, p.47-55.

Éducation et libération (document de travail)

Texte inédit qui paraîtra prochainement dans « PREUVES », Paris (Il s’agit d’un document interne pour le séminaire, toute reproduction interdite)

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L’éducation comme apprentissage de la liberté : cette conception pour laquelle je me bats serait née, croit-on en général, d’un projet qui se bornait initialement à l’élaboration d’une nouvelle méthode d’alphabétisation des adultes. Ma préoccupation a toujours été bien plus vaste puisqu’elle portait sur un processus d’éducation totale. Jamais, dans mon esprit, je n’ai séparé l’éducation dans son sens général — y compris dans son aspect restreint d’alphabétisation — de la prise de conscience. Mes travaux sont en effet liés à la réalité de mon pays, le Brésil, où les illettrés constituent la moitié de la population et représentent la majorité des opprimés. Leurs problèmes sont donc avant tout des problèmes politiques et sociaux, pour lesquels l’alphabétisation n’a jamais constitué de solution-miracle.
Aussi, leur fournir une méthode purement mécanique pour apprendre à lire et à écrire ne suffisait pas. Il fallait leur donner le moyen de sortir de leur passivité, de faire de leur vie un processus dynamique, d’entrer dans l’histoire de façon active, bref de devenir des sujets au lieu de rester des objets — ce qui est bien souvent le cas, même pour qui sait lire en livre.
Dans ce processus, la façon dont l’homme se situe par rapport à sa réalité, ce qui se passe entre sa conscience et le monde m’apparaît comme une dimension fondamentale de l’éducation. Au point que je considère que l’éducation libératrice doit partir d’une archéologie de la conscience.
La conscience, qu’est-ce que c’est ? Ni quelque chose de distinct du monde, ni ce qu’on a cherché à accréditer comme un vague espace intérieur. C’est la projection des intentions qu’on a sur le monde, une « intentionnalité ». Et ce que je veux exprimer par archéologie de la conscience, c’est qu’en remettant en question sa relation au monde, l’homme doit pouvoir reconstituer le processus naturel au moyen duquel la conscience est apparue au stade de l’évolution que Teilhard de Chardin nomme « hominisation ». Dès qu’il y a conscience, il y a réflexion : l’homme peut appréhender le monde de façon active. À sa faculté de savoir s’en ajoute dès lors une autre, capitale : celle de savoir qu’il sait.
Voilà pourquoi lire ne suppose pas seulement comprendre un texte, mais le texte à l’intérieur du contexte. Si bien qu’à travers une méthode qui devait permettre aux illettrés d’apprendre à lire et à écrire, il s’agissait de les amener à découvrir les liens logiques entre les faits, la raison d’être de leur réalité, du contexte social dans lequel s’inscrivent les textes qu’ils liront. Et mieux aura été appréhendée la véritable causalité des faits, plus critique en sera la compréhension. À l’inverse, cette compréhension restera d’autant plus magique que les liens de causalité auront été moins perçus.

Ma recherche devait se baser sur des faits concrets propres à démontrer la validité de mes idées. Personnellement, je constituais un mauvais sujet d’expérience, bénéficiant, du fait de mon éducation, de tout un passé de tradition, de tout un bagage de culture et de pensée.
C’est une femme qui m’a mis sur la voie, une vieille paysanne qui ne savait ni lire, ni écrire. Maria était notre cuisinière à l’époque où, professeur d’histoire et de philosophie de l’éducation à l’Université de Récife, je travaillais aux techniques de l’alphabétisation. Un jour, il me vint à l’idée que la bonne méthode consistait à faire entrer dans la conscience des illettrés des symboles associés à des mots, pour ensuite les interroger de manière critique afin qu’ils redécouvrent l’association entre les symboles et les mots, et appréhendent les mots de cette façon-là. (Je ne pensais pas encore, à ce stade de mes travaux, que le seul moyen juste était de susciter leur conscience critique dès le départ). J’allais donc trouver Maria et lui demandai son aide.
Elle entra dans mon bureau et je commençais par lui projeter une image sur laquelle figurait un garçon. Au-dessous était écrit menino, garçon en portugais. Et je lui demandai : « Maria, qu’est-ce que c’est ? » Elle répondit : « C’est un garçon, menino ». Je projetai alors une autre image sur laquelle figurait le même menino, mais au mot manquait la syllabe du milieu, ce qui faisait meno. Et je lui demandai : « Maria, qu’est-ce qu’est ? » « C’est encore un garçon » — « Maria, est-ce qu’il manque quelque chose ? » Et elle me dit : « Oh oui, il manque la partie du milieu ». Je lui montrai une autre image avec le même menino, mais accompagné du mot duquel avait été retranchée cette fois la dernière syllabe, ce qui faisait meni. Et de nouveau, je lui posai la question : « Manque-t-il quelque chose ? » — « Oui, la dernière partie ! » Nous sommes restés ainsi pendant près d’un quart d’heure à repasser le mot menino sous ses différents aspects : menino, meno, nino, meni, etc., et chaque fois elle sautait sur la partie manquante. Tout à coup elle me dit : « C’est très intéressant, mais je suis fatiguée. » Elle, qui était capable de travailler toute la journée, se sentait lasse après seulement quinze minutes d’exercice intellectuel. C’était normal.
Grâce à elle, j’avais découvert deux choses. Premièrement, il faut tout de suite faire appel à la dimension active de la conscience et non, comme je l’avais envisagé au préalable, faire pénétrer d’abord dans une conscience restée passive des symboles associés à des mots. Deuxièment, c’est en exerçant une réflexion critique sur une action (entreprise elle-même en vue de vérifier une hypothèse) que j’avais pu redresser mon erreur : ce mécanisme où l’action et la réflexion n’en finissent jamais de se contrôler mutuellement, je l’appelai : action-réflexion.

Quelques jours après cette expérience, je commençais à travailler avec un groupe de cinq personnes à Récife, mais en tenant compte de mes dernières observations. C’étaient des hommes issus de zones rurales, plutôt fatalistes et apathiques lors de notre première rencontre. Deux d’entre eux abandonnèrent d’ailleurs dès le second jour. Au bout de quinze jours, les trois autres parvenaient à lire et à écrire un certain nombre de mots. J’étais aidé par un jeune Brésilien étudiant en médecine que passionnaient les observations sur le conscient et l’inconscient. Nous n’avions pour tout matériel qu’un très rudimentaire projecteur, quelques diapositives, des dessins. Plus tard nous eûmes des films fixes, et même nos propres
laboratoires. Le matériel était projeté sur le mur de la maison où s’installait le cercle de culture.
Nous étions patronnés par le Mouvement de Culture Populaire, une institution d’intellectuels et de travailleurs créée par Miguel Arraes, le populaire gouverneur de l’État de Pernambouc. A ce cadre est venu s’adjoindre plus tard celui du service d’extension culturelle de l’université de Récife ; dont j’étais entre-temps devenu le directeur.
Le travail du premier groupe avait été très efficace. Au bout de six semaines, à raison de séances d’une heure à une heure et demie, tous les soir, après le travail, samedi et dimanche exceptés, nos trois premiers alphabétisants lisaient et écrivaient. Je répétai alors l’expérience avec un groupe de dix personnes, puis de vingt, puis avec d’autres groupes qui n’excédaient jamais vingt-cinq participants. Ils parvenaient en général à lire des Journaux, à écrire des lettres simples et discuter de questions d’intérêt local et national après un mois et demi. Peu coûteuse et rapide, la méthode semblait donc répondre aux besoins. Le mouvement avait été lancé en 1962 au Nordeste, la région la plus pauvre du Brésil : elle compte environ quinze millions d’analphabètes sur une population de vingt-cinq millions d’habitants.

Une grande expérience, qui portait sur trois cents travailleurs, fut lancée dans l’État du Rio Grande do Norte. Le dernier jour, nous eûmes la visite du président Goulart, qui parla avec les nouveaux alphabétisés et put constater par lui-même à quel point le test était concluant. Notre méthode fut
officiellement reconnue et je fus invité par le gouvernement fédéral à mettre en place un plan national d’alphabétisation des adultes qui prévoyait, pour la seule année 1964, l’installation de deux mille cercles de culture pour deux millions d’illettrés — chaque cercle étant prévue pour une durée de trois mois.

Mais, le 1er avril 1964, intervint le coup d’État militaire, et le programme fut arrêté. Les quelques mois qu’avait duré la campagne avaient tout de même permis d’alphabétiser des dizaines de milliers de travailleurs et de former des milliers d’étudiants et de jeunes aux tâches d’animateurs.

Je comptais reprendre l’expérience en Bolivie, où je m’étais réfugié. Mais, là aussi, un coup d’État m’obligea à fuir, en direction du Chili cette fois. Invité par Jacques Chonchol, le ministre actuel de l’Agriculture du gouvernement de l’Unité Populaire, j’y adaptai ma méthode à la langue espagnole. Elle y est très couramment pratiquée aujourd’hui et les autorités chiliennes comptent l’appliquer bientôt à l’échelle nationale.
Les conséquences profondes de cette méthode amènent à clarifier la véritable portée de ce que j’appelle la conscientisation. Bien des idéalistes pensent que l’on peut transformer la réalité à l’intérieur de la conscience humaine. C’est une illusion. Comme s’il était possible de « conscientiser » les gens par des séminaires ! Comme si la liberté pouvait être un cadeau ! Comme si on pouvait libérer autrui ! On se libère les uns avec les autres, agis par la réalité qu’on entreprend de transformer.

La « conscientisation », niveau plus élevé que la prise de conscience, est un processus au cours duquel un homme s’éveille à la réalité socio-culturelle de sa vie, en même temps qu’il entrevoit sa capacité de modifier cette réalité. Il s’engage dans l’histoire dans la mesure où ce processus s’accompagne nécessairement d’une pratique qui vise à transformer la société. En effet, à la compréhension, d’un phénomène correspond tôt ou tard une action. À partir du moment où il a perçu et compris les éléments du problème et les données de la réponse, l’homme agit.

Avoir opté pour la libération de l’homme oblige à être très clair en ce qui concerne les implications politiques de l’éducation. Je considère en effet que, même si la liberté absolue n’existe pas, il y a des formes de libertés — celles des différentes sociétés bourgeoises capitalistes n’étant pas les mêmes que celles des diverses sociétés socialistes. Seul critère certain : mieux on peut s’exprimer et plus on peut changer le monde.
De cette nécessité de clarifier les choix, il résulte que le principal problème de la formation du personnel appelé à travailler avec les masses populaires et non pas technique, mais idéologique. Les techniques ne sont pas difficiles à assimiler. Encore que, s’il n’y a pas d’éducation neutre, il n’y a pas non plus de technique neutre.
Au début, je n’avais pas d’idée bien arrêtée en matière de recrutement et de formation du personnel. Mais il m’est apparu très vite que, conditionnés par la petite bourgeoisie à laquelle nous appartenons en tant que classe, nous sommes tous habités par une foule de mythes. Ainsi, nous tendons généralement à considérer que les masses populaires sont indolentes, ignorantes et incapables et qu’il nous appartient de les éduquer, cette éducation nous apparaissant comme une simple transmission de connaissances. Le schéma est alors le suivant : l’éducateur est celui qui sait, moyennant quoi il transfère son savoir à celui qui ne sait pas. La connaissance dans cette opération est tenue pour un fait, et non un processus. Du même coup se trouve nié le caractère actif de la conscience. Cette conception risque d’entraîner des conséquences catastrophiques, voire une dichotomie entre la théorie et la pratique qui deviennent franchement réactionnaires quand on verbalise son choix révolutionnaire sans qu’il se traduise dans les faits. Il n’y a pas de véritable prise de conscience sans la praxis. Je sais maintenant d’expérience que, pour bien leur faire comprendre comment travailler avec les illettrés, il faut amener les éducateurs à ré-évaluer leur univers idéologique et les conditions auxquelles ils sont soumis : autrement dit, les amener à analyser le pouvoir de l’idéologie. C’est le principal aspect sur lequel doit porter leur formation.

Mais, pour être éducateur, il faut en plus prendre conscience de la nécessité d’âtre en même temps éduqué par ceux que l’on est censé éduquer. Le fait d’enseigner ne doit jamais être séparé de celui d’apprendre. C’est un perpétuel aller et retour. L’éducateur doit « mourir » en tant qu’éducateur exclusif de l’élève afin de « renaître » en tant qu’élève de son élève. Simultanément, il doit proposer à l’élève de « mourir » en tant qu’élève exclusif de l’éducateur, afin de « renaître » en tant qu’éducateur de l’éducateur. C’est une pédagogie sans école ni professeur, mais avec des cercles de culture et des animateurs dont la tâche essentielle est le dialogue. Les relations d’autorité se trouvent éliminées par la racine étant donné que comme le souligne Francisco Weffort : « l’enseignant autant que l’élève, hommes pareillement capables de liberté et de jugement critique, font leur apprentissage en commun dans la prise de conscience de la situation qu’ils vivent ».

« Demain, déclara un jour un balayeur de rues de Brasilia au cours d’un cercle de culture, j’arriverai à mon travail en relevant la tête ». Tous les groupes actuellement à l’oeuvre en Amérique latine dans de nombreuses régions que je préfère ne pas préciser pour d’évidentes raisons politiques, peuvent témoigner de ce genre de réaction. Après quatre ou cinq séances au cours desquelles ils ont discuté l’un ou l’autre aspect de la réalité, il n’est pas rare que des paysans s’adressent aux éducateurs et leur disent : « Ce n’est que maintenant que je commence à comprendre les causes de notre existence, de nos besoins. Mais que pouvons-nous faire ? » Que des alphabétisants posent de telles questions ne veut pas forcément dire qu’ils sont déjà capables d’aller plus loin dans un choix révolutionnaire réel, mais qu’à ce moment-là, ils ont entamé un nouveau processus de perception de la réalité. S’ils n’agissent pas par la suite, le changement réel dans leur conscience ne pourra s’effectuer.
L’alphabétisation par la « conscientisation » est-elle valable pour les pays évolués ? Il serait faux, bien sûr, de songer à l’importer telle quelle. Il faut l’adapter aux conditions particulières de chaque société, de chaque communauté. Bon nombre de groupes y travaillent actuellement aux États-Unis. Des Port-Ricains, des Américains, des Noirs, des Chicanos étudient mon livre Pedagogy of the Oppressed en vue de mettre en pratique les grandes lignes d’une pédagogie conçue avec, et non pas pour les opprimés. Prétendre libérer ceux-ci sans qu’ils y participent par leur réflexion équivaudrait à les traiter en objets à sauver
d’un incendie.

Dans ce même esprit de « conscientisation », comment se pose le problème de l’éducation à l’école ? Ivan Illich a raison lorsqu’il la décrit comme un instrument de contrôle social. Comment pourrait-il en être
autrement ? Étant donné que les élites au pouvoir ne peuvent empêcher les gens de penser, il leur faut mythifier la réalité en vue de mythifier la conscience, car c’est à travers la première que se forme la seconde.
Cependant, Illich, tout en mettant en question l’école, ne remet pas en question d’une façon générale ses implications politiques et idéologiques. Or cette critique pour être conséquente doit soulever la question
du pouvoir. C’est pour cela, quant à moi, j’accorde une très grande importance aux aspects politiques de l’éducation.
L’analyse de l’éducation doit en effet passer nécessairement par l’analyse du pouvoir. Illich est un homme de génie et les historiens des siècles à venir ne manqueront pas de souligner sa contribution à l’étude des problèmes de la culture et de l’éducation mais quand il déclare que l’on doit abolir le pouvoir, il oublie qu’il faut, pour cela, d’abord le conquérir.
Il considère l’école comme une institution néfaste. Or l’école n’est ni néfaste, ni bénéfique en soi. C’est son environnement politique et idéologique qui détermine sa fonction. Par exemple : la construction élitaire qu’attaque Illich n’est pas une résultante de l’école. Elle fait partie de toute une conception de l’éducation qui, pour être modifiée demande que soient modifiées les structures du pouvoir. Il serait impensable de remettre celles-ci en question sans toucher au système d’éducation qui s’y rattache, et vice versa. L’école n’existe pas soit comme une catégorie abstraite. Elle ne peut se comprendre que dans l’éclairage de l’histoire. Qui confondrait aujourd’hui l’éducation et l’école en Chine et aux États-Unis ?

Jamais ni nulle part il n’y a eu d’éducation neutre. Nous avons tendance à dire d’une éducation qu’elle n’est pas neutre lorsqu’elle ne correspond pas au type bourgeois, lequel n’est suspecté a priori ni d’abus ni de manipulation. Et pourquoi ? Comment prouver que l’éducation bourgeoise est exempte d’éléments aliénants ? Comme elle sous-tend les intérêts de la bourgeoisie, elle en comporte nécessairement : constituant une superstructure, elle agit en effet comme un instrument qui sert à maintenir l’infrastructure dont elle est issue. Les éducateurs n’en ont pas toujours conscience, mais l’éducation dans son ensemble étant orientée vers cette préservation, elle a manifestement pour tâche d’adapter les jeunes générations au système social qu’elle sert et, dans ce contexte le système éducatif, même s’il peut et doit être réformé et modernisé, ne sera jamais transformé radicalement.
Les exemples de partialité se rencontrent à chaque pas. Sous couvert de neutralité de la science et d’impartialité des scientifiques, les universités ne vont-elles pas jusqu’à affirmer que « le problème du développement est un problème technique », par exemple, ou même que « génétiquement parlant, les Noirs ont des capacités intellectuelles inférieures à celles des Blancs ? » On appelle cela : la science. Je l’appelle, moi, la science blanche. Qu’est-elle d’autre sinon une manipulation ?
Nous ne la percevons pas tellement nous en sommes pénétrés. Par contre, nous accusons les autres de manipuler et nous citons l’exemple de la Chine. En Chine non plus, bien sûr, l’éducation n’est pas neutre. L’affirmer serait prétendre à un purisme que l’histoire n’autorise pas. Encore que je me garde bien d’idéaliser l’expérience chinoise, on doit reconnaître qu’avant la révolution il y avait un pouvoir d’élite contre la majorité des masses populaires, alors qu’aujourd’hui ce sont les masses populaires qui sont au pouvoir, contre l’élite d’hier.
Toute forme de connaissance restant liée à un type de pouvoir, à un certain moment de l’histoire, quel type de savoir peut-on espérer ? Dans l’acte de connaissance, tout se joue dans la dialectique qui s’établit, bien ou mal, entre le contexte concret dans lequel nous vivons, travaillons, rêvons et le contexte théorique dans lequel nous analysons les raisons réelles des phénomènes. La réalité n’est pas en effet une pure donnée : c’est une dimension qui peut être transcendée par l’appréhension de sa raison d’être. Au-delà, on pénètre dans le domaine métahistorique, métaphysique…
Dans le monde actuel, la révolution culturelle essaie de réaliser l’unité dialectique entre la perception immédiate — la doxa des Grecs — et la réflexion théorique. Lorsque l’équilibre s’établit et que s’engage un mouvement perpétuel entre théorie et pratique, la séparation tombe entre travailleurs manuels et travailleurs intellectuels. Sitôt que l’équilibre se rompt, le mur entre eux surgit à nouveau. Dans le domaine de l’éducation, l’école redevient dans l’instant même cette espèce de temple qui garde dans son tabernacle un savoir qu’on prétend net de tout conditionnement, un savoir « chaste » tel qu’il n’en existe pas.

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