
Références
- Titre : « Paulo Freire à Athènes (du 8 au 15 septembre 1987), ses idées pédagogiques et notre réalité en matière d’éducation »
- Auteur : Paulo Freire ; Théophraste Ghérou
- Publication : Texte non publié (archive de Centro de Referência Paulo Freire (Brésil))
- Date de la conférence originale : 1987
- Période freirienne : Retour au Brésil (1980-1997)
Catégories : Conférences et séminaires
Notes : Ce texte débute par une présentation de Paulo Freire par Théopharaste Ghérou puis par une conférence du pédagogue brésilien.
Paulo Freire à Athènes
[Note et avertissement de bibliofreire : il s’agit d’une traduction non publiée d’une conférence de Paulo Freire. De nombreux passages sont particulièrement mal traduits. Malheureusement, nous n’avons pas pu trouver le texte original en portugais brésilien]
1. Ses idées pédagogiques et notre réalité en matière d’éducation
[Par Théophraste Ghérou (Θεόφραστος Γέρου)]Deux textes courts, qui constituent des réponses en quelques mots aux appels en aide appartiennent à des gens différents. Le seul point commun que ces deux textes aient c’est le lieu et le peuple auquel ils se rapportent, c’est à Guinée Bissau, un petit pays du Continent africain en voie de renaissance. Le premier texte appartient à Amilcar Cabral le pédagogue qui apprenait auprès de son peuple par son peuple.
Il est probable que j’aie une opinion sur les choses, dit A.C. sur la méthode et la façon d’organiser la lutte pour la libération ; une opinion formée en moi pendant mes études en Europe, ou pendant mon séjour à d’autres pays, ou bien pendant que j’étudiais des textes ou pendant des discussions avec d’autres personnes. Je ne pense pas pourtant organiser le mouvement libérateur ou la lutte en me basant sur mes propres idées ; je fonderai mon effort sur la réalité de mon pays.
Quelques années plus tard, Paulo Freire répondant à Mario Cabral, le Ministre de l’Éducation de la Guinée-Bissau, qui avait invité à son pays pour l’aider à l’organisation de l’éducation des adultes, disait : « Je viendrai, mais je n’apporterai pas dans ma valise les solutions de ton problème. Les solutions nous les trouverons ensemble là, près de ton peuple, après avoir étudié la réalité de ton pays ».
Et Freire continue dans le même texte, ou dans d’autres textes semblables : « Tu ne peux pas transplanter des solutions pour les problèmes de ton pays empruntées à d’autres cultures et à d’autres civilisations. Les solutions transplantées ainsi, si elles ne sont pas appuyées à une analyse critique de la réalité précédente, sont condamnées à ne pas fonctionner, à ne pas fleurir, à compliquer encore davantage les problèmes qu’affronte le système éducatif national ».
Cher auditeur pour comprendre la différence tu dois comparer ces deux textes aux dogmes connus aux aides techniques et aux directives. Paulo Fr. se trouve entre nous, j’ai fait sa connaissance d’abord par son livre « L’éducation de l’opprimé » en 1974, quand je me trouvais à Toronto du Canada ; et j’ai essayé à le traduire en notre langue parce qu’il serait absolument nécessaire pour nous ici en Grèce qui venions de sortir de la nuit longue de la dictature des sept ans.
Je continue à lutter depuis avec les idées de notre grand hôte et je n’arrive pas à le rejoindre ; et, d’ailleurs, comment y arriver ! « L’éducation de l’opprimé » ne pourrait pas arriver à un moment, plus propice dans notre pays triste et altéré des choses pareilles.
La dictature des sept ans avait découvert et accentué toutes nos faiblesses sans les avoir guéries. D’ailleurs comment cela serait-il possible ?
Il était temps que nous sortions de notre retard et les idées de Paulo Freire étaient précieuses, surtout pour nous, un pays qu’on ne peut pas classé entre les pays du Tiers Monde, mais qui n’appartient pas non plus aux pays du Premier. C’est sûrement ce que nous disons, mais l’important est ce que les autres disent à notre égard. D’ailleurs pour nos amis les plus « implacables » la civilisation est née dans ce pays-là, chose qui ne les a pourtant pas empêchés à nous immobiliser pendant sept ans ; et quand ? Juste à l’époque où nous commencions à chercher en nous les problèmes essentiels, où le mauvais climat de la guerre civile commençait à reculer et — puisque là nous parlerons de l’éducation — juste au moment où nous étions en train de mettre en œuvre la deuxième réforme éducative, en 1964, la première étant celle de l’année 1929. Les réformes éducatives chez nous, dans notre petit pays consistent toujours à des efforts, à des essais pour faire face aux inégalités éducatives de notre système.
Il y a déjà treize ans et voilà que nous célébrons cette année la 13e commémoration de la libération ou bien de la naissance des mouvements progressistes ; des symboles dira-t-on, soit ! De commémoration en commémoration, on gagne quelque chose.
Cette année et notamment aujourd’hui, nous célébrons aussi le jour mondial contre l’analphabétisme. Je crains les commémorations ; ils nous aident à une réunion, ou bien ils nous offrent un signal, un symbole ou un drapeau et ainsi on en a fini avec ses obligations. Mais entre nous, nous devons dire la vérité. Nous n’avons pas l’impression que les efforts du passé contre l’analphabétisme sont réussis.
Notre problème de l’analphabétisme, comme vous le savez bien, a été accentué pendant l’occupation allemande, pendant la guerre civile et après cette guerre, pendant les années pleines de haine et de persécutions. Des analphabètes nous en avions même avant, bien que l’enseignement obligatoire soit institué dans notre pays dès la première Constitution hégémonique de 1832. En ce moment-là avec le changement qui fait que, dorénavant, les organismes internationaux mettent l’accent de l’analphabétisme organique à l’analphabétisme fonctionnel, chose qui signifie de la guérison à la prévention, je crains que la solution du problème de l’analphabétisme organique glisse vers la liquidation biologique et cela me fait honte.
Indépendamment de mes impressions ou de mes sentiments, le Secrétariat Général de l’Éducation des Adultes est obligé de trouver dans l’époque technologique actuelle des manières pour aborder le problème, différentes de celles que nous connaissons déjà, et des méthodes d’approche qui varieront de situation en situation étant donné que surtout le problème de l’analphabétisme organique est très compliqué.
C’est à cet effort-là que notre hôte précieux va nous aider.
Chaque époque demande un examen spécial et une interprétation particulière en ce qui concerne les idées qui ne sont ni éternelles ni inchangeables.
En étudiant « l’éducation de l’opprimé » ou bien l’autre livre de Freire « Education for critical Consciousness », j’avais toujours en esprit les circonstances politiques du pays et je trouvais qu’un grand nombre d’idées de Fr. correspondait absolument à notre histoire et à notre réalité.
Je mentionne un tout petit nombre de ces idées pour que nous puissions ensuite avoir l’occasion de les développer. Par exemple, l’idée de « verbocity », du bavardage, du verbalisme, de l’incompréhensibilité, du vide rhétorique qui caractérise l’enseignement du Brésil et qui est considéré comme égale à la théorie par les Critiques du système éducatif brésilien.
Je lisais par exemple que de nombreux critiques expliquant la tendance brésilienne pour le bavardage l’accordaient à l’orientation théorique du système éducatif. Ainsi ils égalisaient la théorie au verbalisme.
Fr. pense tout à fait le contraire. L’absence de théorie et d’interprétation, ainsi que l’intervention à la réalité, voilà ce qui permet au verbalisme de dominer ; et en plus, la culture verbaliste correspond à l’insuffisance du dialogue et de la recherche.
Le mal se trouve donc au manque de l’expérience démocratique. C’est ce que P. Fr. prétend et il a grande raison. Je suis d’accord avec Fr. et avec l’explication du phénomène qu’il a donnée. À l’époque OÙ j’étudiais ces textes, le phénomène présentait une augmentation particulière dans notre pays. Le discours du dictateur était caractéristique, un monument de manque de clarté et de vide rhétorique.
J’ajouterais à ce que Fr. dit les conditions particulières du développement du verbalisme dans notre enseignement. D’un enseignement qui dépasse la substance des problèmes eu l’exprimant avec des paroles privées de sens. C’est le problème de l’enseignement « bilingue » que nous avions il y a quelques années dans notre pays. Dès l’année 1976 la langue « démotique » (langue parlée, moderne) constitue l’objet et l’instrument de notre enseignement. Le changement indispensable apportera des fruits, il annulera les mauvais résultats de l’enseignement bilingue et il donnera à notre peuple sa voix. Nous espérons que de cette manière les paroles vagues et insignifiantes des textes écrits et de l’oral reculeront.
Pourtant les maux dans notre pays sont inépuisables et un phénomène analogue fait déjà son apparition ; j’explique cela dans un de mes articles qui a paru dans le journal « Vima » et qui porte le titre « qui dit que la défense de la langue est morte ? ». Je crains qu’il y ait le danger pour nous de retomber dans notre vieux péché, qui, à l’époque, avait détruit le sens de notre enseignement, il l’avait liquidé et il avait causé la confusion dans les esprits de nos enfants. Il existe une idée, un mot difficilement traduit en grec « la motivation », nous l’expliquons comme stimulus, intérêt, probablement comme exhortation intérieure, mais rien ne traduit exactement le sens que les Anglosaxons donnent au terme.
On a beaucoup écrit sur le sens exact de ce terme ; mais nous ne sommes pas encore arrivés au point à l’expliquer par rapport au travail qu’on fait à l’enseignement universitaire ; et c’est là où on en a plus grand besoin.
Je me rapporte particulièrement à l’enseignement universitaire parce que, comme vous comprenez bien, « l’object », le public du secrétariat de la formation populaire, en général sont les adultes qui ont plus de seize ans.
Les étudiants refusent de travailler sous les conditions sociales actuelles, mais ils désirent réussir aux examens, peut-être parce que l’emploi ces années-là, en général dans le monde entier, comme dans notre pays, est difficile à trouver avec ou sans diplôme universitaire.
Chaque année nous assistons tous au même phénomène, 150 000 candidats se présentent aux examens d’entrée des universités et de grandes écoles techniques, pour 40 000 (ou 50 000 places).
Les trois années du lycée servent uniquement à la préparation des élèves qui réussiront aux examens généraux ou qui, tout simplement, s’y présenteront, et le lycée n’est pas le seul à préparer à ces examens, je regrette, mais la maternelle, le primaire et le collège aussi. Toutes ces écoles sont orientées vers les examens généraux sacrifiant ainsi l’autonomie de chaque degré, avec tout le « suc » dont chaque degré dispose.
C’est un peu bizarre, mais deux choses arrivent, le phénomène demande une analyse différente. Il est sûr que chaque année des 150 000 candidats, les 100 000 n’entreront pas à l’enseignement supérieur, il est sûr aussi que seulement un nombre très restreint de diplômés de grandes écoles trouvera tout de suite un emploi ; malgré tout, le nombre de candidats reste toujours grand ; à moins que le fait seul de se présenter aux examens, car des enfants de milliers de familles grecques s’y présentent, ne les satisfasse que la seule participation aux examens ne réponde aux aspirations qu’on a pour une évolution sociale, pour un diplôme universitaire ! À moins que seul le fait d’entrer au processus soit le stimulus qui les pousse vers ces examens.
Ces deux choses, c’est-à-dire que des milliers de candidats échoueront et que ceux qui réussiront ne trouveront pas ensuite de travail, sont bien connues d’avance par les jeunes et par leurs parents.
Je crois pourtant que ces deux choses, bien qu’elles paraissent innocentes, influencent les étudiants dans leur comportement à l’égard des Grandes Écoles et du personnel enseignant, guident l’attitude, le comportement des étudiants face au programme enseigné à l’université et aux autres grandes écoles. Les salles de classe sont soit vides (soit à moitié vides). L’intérêt des étudiants est inexistant. Malgré tout, le programme reste toujours le même, les examens ne changent pas et la qualité des manuels didactiques reste malheureusement inchangée. Les professeurs les progressistes aussi bien que les conservateurs sont insupportablement les mêmes. Ils évaluent de la même façon les connaissances apprises par cœur, le psittacisme ; cela est dommage ; et d’ailleurs, qu’est-ce qu’ils pourraient faire d’autre avec le nombre étonnant d’étudiants ?
La question doit être envisagée d’une façon différente et avec une sincérité plus que crue par rapport aux étudiants eux-mêmes et aussi envers le public, les parents.
Sinon le problème échappe aux bornes de la façon habituelle d’envisager les choses. Il appartient à une autre sphère.
Le résultat des épreuves éliminatoires d’entrée à l’université est plus ou moins connu de la plupart des parents et des candidats eux-mêmes. Pourquoi, en ce cas, la même procédure que l’on pourrait qualifier de masochiste, se répète-t-elle ? J’ai l’impression que cette participation à la procédure des examens d’admission satisfait elle-même le rêve familial d’une ascension sociale.
Voilà pourquoi je me rapporte à la MOTIVATION, d’une part parce que P. Fr. a essayé de donner son explication d’une telle façon qu’elle puisse être utile pour une réforme d’études dans nos universités et d’autre part pour le prier de développer davantage les sens MOTIVATION qui est pour lui la condition pour chaque apprentissage.
J’emprunte ces éléments sur la MOTIVATION à l’introduction d’un des derniers livres de P. Fr. édité en 1987 « La pédagogie pour la libération ». De son introduction, une conversation avec son ami, on distingue ces deux idées, l’idée de verbocity et de la MOTIVATION, c’est-à-dire le bavardage et les stimulus ou l’intérêt, je prierais notre ami P.Fr. de bien vouloir nous aider à l’explication de ces termes.
Les idées de P. Fr. et c’est là une opinion générale, intéressent notre propre réalité politique, sociale, culturelle et éducative. Elles commencent à influencer en Grèce aussi les établissements qui forment les enseignants. Sa philosophie et sa méthode s’étendent à tous les échelons scolaires, de celui de base, obligatoire, jusqu’au supérieur universitaire. Elles couvrent tous les âges scolaires, mais à quel âge et où on n’apprend pas ?
La pédagogie critique qu’il introduit ne se limite pas à donner des réponses, mais provoque des questions. Une pédagogie qui ne sous-estime pas les expériences culturelles des apprenants, mais qui, au contraire, fonde sur ces expériences l’effort formatif.
Les idées de Fr. ont commencé et ont été développées dans l’action. Elles concernent surtout l’enseignement ou la formation des adultes, mais comme on pourrait prévoir, elles influenceront aussi et pour une longue période la philosophie et la pratique — nous accordons une grande importance à la pratique — de tous les échelons de l’enseignement aussi bien dans les pays industrialisés que dans les pays du tiers monde. Elles nous aideront en plus à réviser notre démarche, la méthode et la philosophie même de notre enseignement, parce qu’il est certain que nous sommes en fausse route.
Dans notre pays nous avons beaucoup de problèmes et il ne s’agit pas seulement de problèmes d’infrastructure ou bien de problèmes qu’on peut résoudre en prévoyant de grandes sommes dans le budget. Il s’agit des problèmes connus par les pays développés de l’ouest, il y a quelques années et qui se trouvent à présent en recul ; une constatation qu’on nous offre pour nous consoler. Patience nous dit-on, cela va passer. Ce sont des problèmes nés et développés là tandis que nous, nous acceptons seulement leur écho, comme nous vivons au bord ou à l’écart des pays riches et développés de l’occident.
Il s’agit des problèmes de contestation des connaissances et de l’école en général crées peut-être parce que les jeunes refusent d’accepter la dimension historique qu’ont les problèmes
Ils vivent sur un niveau différent que nous. Ils ne veulent pas connaître ce que nous avons souffert et comment nous sommes arrivés au point où nous nous trouvons. L’école égalitaire.
Je me rapporte très souvent dans mes livres (et je m’en excuse) à l’école fondamentale, et j’entends par là le primaire et le « gymnase » (collège) aussi, comme à un grand facteur qui égalise, c’est-à-dire qui ôte, qui efface ou qui affaiblit l’inégalité, la différence entre les élèves ou même entre leur origine sociale.
C’est ce qu’on appelle souvent des chances égales ou bien égalité aux chances pour tous les enfants du peuple. C’est une valeur éducative avec beaucoup de problèmes.
On a beaucoup écrit sur cette idée et on a fait de nombreux efforts dans notre pays aussi. La constitution l’avait prévue.
On raconte, peut-être en exagérant, que l’école est l’entrée principale de l’égalité. D’ailleurs, nous ne disposons pas dans notre société d’un meilleur facteur d’égalisation que l’école.
Quand je parle ici d’école, j’entends l’éducation en général et dans le cas présent je comprends aussi la formation populaire. Cela fonctionne probablement comme une alerte pour ceux d’entre nous qui sont pressés et qui veulent se débarrasser de l’école parce que l’école n’est pas un besoin primordial de la production, mais la construction et comme telle elle se développe en une structure fondamentale primordiale, donnée par la somme des rapports de production et leur interaction et comme elle est, elle ne fait que reproduire l’idéologie de la classe dominante.
C’est un refrain dont on entend souvent parler dans des séminaires de telle sorte. Dans notre pays le lieu dans lequel se déroulent les luttes et les conflits c’est l’État. Dans l’éducation publique, officielle, le conflit social s’exprime historiquement en conflit entre les réformes éducatives, qui essaient de diminuer ou d’affaiblir la reproduction des inégalités éducatives et de promouvoir l’égalisation des chances éducatives, voilà pourquoi il est bizarre et c’est pour cela que nous posons la question : pourquoi est-ce que les forces progressistes ne soutiennent pas les réformes ?
Cela est valable pour toutes les réformes. Elles ne sont pas d’ailleurs nombreuses. Nous pouvons les citer : 1929, 1964, 1976, 1981-84.
De cela témoigne aussi l’histoire de l’extension de l’enseignement obligatoire, qui n’est pas seulement définie par les changements dans le marché du travail, mais aussi par la lutte pour une égalité plus grande, pour la démocratie et la participation à l’enseignement.
Ainsi elle est surtout formée par la lutte sociale et par les possibilités qui existent dans un régime bourgeois pour l’extension de la démocratie elle-même.
Un de nos compatriotes qui, il y a quelques années, a donné fin à sa vie, Nicos Poulatjas, une entité pense que l’État est une entité relativement autonome. Bien qu’il accepte que l’État soit le protecteur final des intérêts des groupes dominants, cela ne signifie pas qu’il est un simple instrument utilisé par ces groupes selon leurs intérêts.La politique ou bien les politiques de l’État différent très souvent des intérêts dominants des classes sociales privilégiées. La lutte même entre les classes dominantes, ou des niveaux, ou des groupes de gens, a besoin d’un état qui fonctionne avec un minimum d’autonomie ou même d’indépendance.
Cette tension, entre la reproduction de l’inégalité et la création d’une plus grande égalité par les différentes réformes éducatives, est née avec l’enseignement scolaire.
Ce qui a une importance directe et qui est lié directement à l’analyse de la réalité éducative actuelle dans notre pays, c’est l’attitude des forces progressistes, comme elles s’expriment par les partis dans le Parlement.
Quelle est leur position quand on discute des propositions de changement éducatif ?
Grâce à Dieu, ces dernières années nous avions de très nombreuses et essentielles propositions ; il me suffit de citer la loi-cadre pour les établissements supérieurs ou encore la loi sur l’enseignement général.
Quelle est encore leur position, quand devant eux l’enseignement est détruit ou bien quand l’enseignement est en danger comme eux-mêmes déclarent ?
Je me rapporte dans mes livres à deux angles du processus pédagogique, le pessimiste et l’optimiste.
Il est comme que l’école seule et j’entends tous les types d’enseignement et de formation ne peut pas changer la société. Dans une société comme la nôtre, avec son histoire, ses malheurs et ses expériences, l’école peut offrir beaucoup de choses, pas comme elle est, mais comme elle pourrait devenir ce dernier en toute réserve étant donné sa forme et ses limites.
Il est pourtant vrai, que l’école crée des noyaux de résistance — pour me rapporter aux opinions actuelles des sociologues de l’éducation — ces noyaux de résistance fournissent des modèles pour de nouveaux types d’apprentissages et de relations sociales.
La résistance et sa valeur comme notion se trouve à la possibilité qu’elle a de valoriser les chances théoriques dans l’école, pour une libération et une réflexion et pour l’amélioration de la vie humaine.
L’enseignant et le formateur surtout se présentent avec les trois côtés de leur personnalité, avec les trois dimensions de leur personnalité.
L’enseignant de tout type et le formateur sont ceux qui connaissent une matière à fond et à toute son étendue ; ce sont les didacticiens qui savent enseigner leur discipline et c’est pour cela qu’ils sont des enseignants ; d’ailleurs malheur à qui ne sait pas enseigner, à qui ne connaît pas la didactique de la leçon ou de la science qu’il enseigne ; et, en même temps ils sont les intellectuels organiques des classes sociales défavorisées.
Le troisième côté de leur personnalité est encore invisible. Les deux premiers, c’est-à-dire celui savant et celui du didacticien, deviennent supportables et ils sont très désirables par tous les niveaux et par toutes les classes sociales. La troisième dimension, celle de l’intellectuel spécialisé pour les classes sociales défavorisées — par nature et position —, surtout du formateur populaire et de l’instituteur de l’enseignant attaché à l’école primaire et au premier degré de l’enseignement secondaire, ne peut pas être visible sans risque.
C’est ce que Fr. dit : « swimming with the tide and swimming against the tide », c’est-à-dire tu nages avec le courant ou bien tu vas contre le courant.
L’angle pessimiste du processus pédagogique est celui qui déclare : quoi qu’on fasse, l’école et tout type d’enseignement ou d’apprentissage reproduiront l’idéologie de la classe dominante ; c’est-à-dire nous ne devons rien faire ; nous devons fermer les écoles.
L’angle optimiste du processus pédagogique comprend la position de la résistance et le rôle des enseignants comme des intellectuels spécialisés pour les classes sociales défavorisées et indique des formes de lutte.
Qu’on le veuille ou non, par nature et position, l’instituteur de l’enseignement élémentaire, le formateur de la formation populaire sont près du peuple éprouvé, ils sont près des classes défavorisées, parce qu’elles n’ont pas les moyens d’apprendre, elles n’ont généralement pas les moyens de connaître le monde.
Par l’école et avec l’école, nous trouverons la voie de la libération de l’homme.
Merci de votre attention.
2. Réponse de Paulo Freire
[Note de l’éditeur] Ce qu’a dit Paulo Freire en commentant l’introduction prononcée par Th. Gherou et en répondant aux questions qu’il a posées.
P. Fr. (en s’adressant à M. Ghérou après son intervention) :
Je dois vous confier que, après vous avoir entendu parler, et je l’ai fait avec grande attention, je n’ai rien à ajouter. Tout simplement je répète : à mon avis ce matin vous êtes arrivés à faire une des meilleures analyses que j’ai entendues ou lues par rapport à mon œuvre, à mon travail.
Il existe sûrement quelques points sur lesquels nous devrions peut-être discuter entre nous seulement pour approfondir le sujet. Je dois avouer, M. Ghérou, qu’en parlant d’une façon plus vaste, j’ai découvert dans vos analyses moi-même, parce que souvent nous lisons des analyses à l’égard de notre travail et nous ne nous y trouvons pas. Nous avons l’impression qu’il s’agit de quelqu’un d’autre et pas de nous ; mais ce n’est pas le cas avec vous, M. Ghérou.
Généralement, en tels cas et des situations pareilles, à des manifestations comme celle d’aujourd’hui, je préfère au lieu de parler, faire un dialogue, poser des questions et essayer de répondre plutôt aux questions au lieu de faire un monologue.
En ce moment surtout, je crois que probablement je devrais dire quelque chose en plus de ce que j’ai déjà dit sur l’émotion que j’éprouve à cause de ce que vous aviez raconté pendant votre intervention ; et je voudrais toucher, dirais-je, et pas approfondir les deux points que vous avez cités, les questions relatives à la motivation et à la verbocité.
D’abord je suis sûr, persuadé, que nous n’avons pas un temps pour la motivation et un autre temps pour des activités et encore un temps pour l’action. Nous n’avons pas le temps pour constituer un programme d’action et encore un autre temps pour l’appliquer et commencer à agir.
Au contraire, mais je crois que tous ces moments temporels appartiennent à un temps total, qui est consacré à la réflexion, à l’action, à l’opération. Pour moi, donc, la motivation ou l’excitation, le stimulus tout simplement, arrive au degré où je fais quelque chose, mais je sais comment faire mieux, chose qui signifie qu’en faisant j’agis et je considère comme problème l’opération elle-même.
En d’autres termes cela signifie que je pense à l’opération, à l’action ; c’est-à-dire considérer et prendre l’opération comme l’objet de notre curiosité, de ma curiosité plutôt, dans ce cas. Voilà mon analyse. Et par la réflexion de ce que je fais, je m’excite pour dépasser ce que je fais, pour découvrir ce qui est faisable ou ce qui est faisable et possible.
Comme, en général, nous affrontons des choses impossibles du point de vue historique, mais aussi du point de vue social et politique, je crois que les hommes politiques qui ne comprennent pas les limites, historiques, sociales, culturelles et politiques, ne peuvent pas bien sûr être de bons politiques.
Nous faisons ce que nous pouvons avec les données historiques que nous avons et pas ce que nous voudrions faire. Toute sorte d’action à ses restrictions, ses limites et nous devons comprendre la raison d’être de ces limites, de ces restrictions ; nous devons aussi connaître et apprendre comment dépasser ces limites, ces restrictions, ce qui signifie exactement comment nous rendrons faisable et possible aujourd’hui ce qui nous paraissait impossible.
Pour cette raison, les politiques doivent avoir du courage et oser risquer ; dans ma langue nous avons le mot AUDACIA, un terme très réussi et à deux sens ; c’est-à-dire l’audace est ce qui pousse au-delà de cette limite, de ce qui semble comme limite, comme restriction, car il existe aussi une restriction visible, apparente. Souvent on s’arrête là où la restriction apparente commence.
Un bon chef reconnaît qu’il existe un espace au-delà de cette restriction apparente et, bien sûr, après cela il dépasse cette restriction apparente ; voilà ce qui fait que cet homme est un chef, c’est-à-dire sa capacité de découvrir l’espace et le temps qui existe au-delà de l’apparition ou la restriction apparente. Or, cette réflexion, qui continue avec l’action, n’est pas une sorte de situation psychologique que nous créons pour rendre une chose faisable pour les autres, p.ex. lire quelque chose, ou bien apprendre à lire ; mais sans incitation il est très difficile de continuer.
Je ne sais pas si j’étais clair par rapport à cela ; par exemple, disons que nous avons 25 paysans en Grèce ou au Brésil, qui doivent travailler avec ferveur pour apprendre à lire et à écrire. Avant tout, je dois bien sûr connaître quelles sont les attentes et les ambitions qu’ont ces gens-là ; et cela parce que les attentes sont une partie de leur excitation et de leur stimulus. Je dois connaître quels sont leurs rêves, leurs visions ; ce qu’ils auraient voulu encore pouvoir penser et discuter.
En d’autres termes je dois connaître ce qu’ils savent et comment ils le savent ; c’est pour cela que je souligne que nous devons connaître la réalité dans laquelle nous nous trouvons, ou dans laquelle nous pensons travailler.
Quand je parle de la connaissance de la réalité, essentiellement je me rapporte à la connaissance que les hommes ont de leur propre réalité et pas à l’avis objectif ou subjectif des individus.
En d’autres termes, j’essaie, si vous voulez, de donner la conception de l’objectivité, c’est-à-dire la conception objective et pas tout simplement l’avis objectif que les autres ont conçu.
À mon avis, cela constitue une des meilleures manières, une des meilleures méthodes pour augmenter et aider à l’incitation et à la motivation ; je répète, nous ne devrons pas comprendre l’incitation comme différente de l’action, comme quelque chose qui précède l’action.
Même quand nous commençons la discussion avec un groupe de paysans, nous commençons le processus didactique, c’est-à-dire leur apprendre à lire et à écrire, tandis que nous évitons de leur faire connaître en même temps le monde, les animaux, les arbres. L’action est un exercice. Eux-mêmes contribuent à ce processus de l’enseignement. En d’autres termes, ce n’est pas le temps qui précède cet enseignement. Je crois qu’il est très important pour nous de comprendre davantage et plus clairement, parce qu’il y a une tendance de la psychologie à comprendre et à s’approprier. La psychologie est utile, mais le « psychologisme » est mauvais ; c’est l’effort pour que la compréhension se réduise et qu’elle se rapporte au niveau de la psychologie.
On remarque une tendance à diviser les choses, à les compartimenter, en sentiments, en action, en connaissance, etc. Cela n’est ni juste ni fonctionnel.
Et maintenant en ce qui concerne le « verbocity », le verbiage dont j’ai parlé ci-dessus. Je crois qu’on remarque cette altération au Brésil aussi et pas seulement là. La compréhension de ce phénomène à faire à la compréhension des rapports entre l’application pratique et la théorie.
Une véritable position pour l’union entre l’opération et la théorie présuppose la pensée, la réflexion et les idées par rapport à l’action.
Je voudrais dire que verbiage n’est pas une théorie, il est, si vous voulez, une discussion où les mots sont vides de sens. Les mots ont perdu la substance des choses. Les mots se perdent. Ils n’ont aucune valeur ; par le verbiage on risque de se conduire à l’activisme exagéré. Nous ne devons donc pas tomber dans ce piège, croire c’est-à-dire que les intellectuels n’ont aucune valeur ; c’est un piège à éviter. Personnellement je rejette cette position ; je n’ai rien contre le monde après-juif[traduction à revoir] et je n’ai rien contre la réflexion théorique.
Pourtant j’ai quelque chose contre l’apparence, la pensée apparente et la réflexion.
Pour moi ce qui compte, c’est la manière par laquelle nous vivons l’union dialectique entre l’opération et la théorie, pour que nous puissions réfléchir d’une façon correcte et sérieuse.
Comment réfléchir avec des contradictions au degré bien sûr, où les réalités auxquelles nous pensons et réfléchissons sont contradictoires ? Comment pouvons-nous parler en langue contradictoire dès que la réalité aussi est contradictoire ?
À mon avis, c’est un problème. La question n’est pas de refuser ou rejeter la théorie, mais comment on pourrait mettre ensemble ces deux éléments, les associer, chose qui n’est pas facile ? En fait, cela n’est pas facile dans le monde ordinaire ; dans le monde académique il est trop difficile.
Souvent, il y a une tendance dans le monde académique d’étudier les mets d’une manière intensive, de lire des textes, mais de ne pas lire le cadre, si vous voulez, le contenu. Le monde académique devrait enseigner aux jeunes comment étudier le monde et pas seulement les mots ; je ne considère pas la lecture des livres nuisible ; au contraire je crois que pour les élèves il est nécessaire de lire pendant l’année scolaire certains livres très sérieux et classiques.
Si vous voulez, il est nécessaire que les élèves établissent un rapport étroit avec les écrivains, qu’ils discutent avec leurs maîtres sur les sentiments provoqués par la lecture des livres.
La lecture des livres doit se faire de telle manière qu’ils comprennent le milieu dans lequel ils vivent, c’est pourquoi je ne comprends pas la raison pour laquelle l’enseignant impose à ses étudiants la lecture de 300 livres dans une année ; je doute que le professeur ait lu tous ces livres. C’est la raison pour laquelle on entend souvent parler de suicides d’étudiants qui n’avaient pas la force morale de soulever des objections.
Cela ne signifie pas bien sûr que nous n’étudierons pas de livres. Nous, les maîtres, nous devons demander aux étudiants d’être sérieux. Ils doivent être sérieux à l’étude, à la lecture des livres, à la rédaction des compositions.
Nous devons pourtant leur enseigner la compréhension de la réalité par la lecture de deux ou trois événements ; des événements, c’est-à-dire, qui arrivent dans la vie quotidienne et qui constituent une partie de la vie quotidienne.
Je demande beaucoup à moi-même. Toutes les fois que je visite une ville, un pays, j’aime me demander, me poser des questions quand j’entends des personnes qui parlent. J’aime comparer mes expériences précédentes, pour voir comment on pourrait faire quelque chose dans le contexte qui est le mien, dans le milieu auquel je me trouve, avec l’aide aussi de la lecture. Par exemple, en juin dernier, j’ai demeuré pendant huit ou dix jours à Cuba. Le dernier jour nous déjeunions, cinq Cubains et moi, c’est-à-dire deux couples cubains et moi, dans un restaurant très connu. Les murs de ce restaurant sont pleins de signatures de différentes personnes bien connues. Pendant leur visite à ce restaurant elles veulent constituer une partie de son histoire ; c’est pour cela qu’elles signent. Elles signent sur le mur et ce mur devient très beau parce qu’il y a beaucoup de couleurs.
Tout à coup une petite enfant est entrée dans le restaurant et a commencé à regarder les murs et leurs images. Un des Cubains lui a demandé : « que fais-tu là ? » et elle ne pouvait pas comprendre la question. Je suis sûr qu’intérieurement c’était clair elle connaissait exactement pourquoi elle se trouvait là et regardait les murs. Ensuite elle a répondu au Cubain : « qu’est-ce que je fais là ? Mais vous regarde tous. Je regarde les murs, je vois les noms, je garde les images ; et pourquoi pas ? » Et elle a continué à se promener dans le restaurant.
Les Cubains ont continué leur déjeuner et je leur ai dit : « pour moi cet incident est très intéressant ». Cet événement m’apprend quelque chose sur Cuba ; ce qui vient d’arriver tout à l’heure révèle beaucoup de choses sur Cuba. La question pour nous est comment le comprendre ; et pour comprendre, je fais la comparaison avec ma civilisation, ma société, mon passé.
1) Au Brésil, si elle était entrée au restaurant, elle l’aurait fait pour demander à manger et pas pour regarder les murs, lire et réfléchir.
2) On l’aurait fait sortir du restaurant ; en cas contraire le garçon serait mis à la porte par son patron.
À Cuba l’enfant était venue pour se rencontrer avec la culture et l’histoire. Or, elle était venue avec ses éléments-là, pour lire, pour sentir le passé par l’intermédiaire de l’histoire de ce restaurant ; moi, j’appelle cela lecture du monde.
L’année dernière j’aurais peut-être pu lire 200 livres ; je ne l’ai pas fait, et il est peu probable que je puisse comprendre cet événement, la visite de la jeune fille au restaurant, malgré la lecture de ces deux cents livres.
Bien sûr l’étude des livres m’a enseigné à mieux étudier le monde ; ce que je voudrais dire, c’est que nous étudions d’abord, nous lisons le monde et ensuite les mots. Du côté historique même c’est comme cela. Les hommes ont commencé par se libérer les mains, ensuite ils les ont utilisées, ils les ont transformées en instruments, en outils, et ils ont agi sur les objets, les ont transformés et beaucoup plus tard, après des siècles, les hommes ont commencé à offrir, à donner des noms aux choses qu’ils avaient faites. Donc d’abord on transforme et ensuite on donne un nom ; d’abord on parle et ensuite on écrit. Nous écrivons ce que nous disons ou que nous pouvons dire et souvent nous essayons de faire le contraire ; cela n’est pas juste, ne fonctionne pas.
Je voudrais maintenant faire aussi un commentaire concernant la dernière partie de votre discours, M. Ghérou. Je crois que vous devez traduire votre intervention en anglais ou en français pour que nous puissions la lire.
C’est exactement le point que vous touchez ; le point sur le pessimisme et l’optimisme, optimisme critique par lequel nous essayons de comprendre l’éducation et ensuite l’analphabétisme.
Je crois que vous avez été très clair et je suis tout à fait d’accord avec ce que vous avez mentionné.
Ce serait très stupide et naïf de notre part de ne pas comprendre que les écoles, l’éducation systématique, reproduisent essentiellement l’idéologie de la classe dominante. Ce serait une grande naïveté de ne pas comprendre cet événement si simple. Cela signifie que nous devons comprendre que les classes dominantes, parfois consciemment et parfois non, attendent ou demandent à l’enseignant de reproduire l’idéologie de la classe dominante ; c’est l’œuvre de l’enseignant.
Nous devons tous comprendre clairement ce point-là, mais encore dans notre orientation ou la direction le sujet qui a à faire à l’œuvre c’est-à-dire ce que les classes dominantes demandent à l’enseignant, il y en a encore une autre, à côté, qui est indépendante de la volonté de la classe dominante.
Il existe donc, l’autre œuvre, l’autre tâche de l’enseignant qui dépasse, si vous voulez, la possibilité qu’a entre ses mains la classe dominante ; c’est l’œuvre des enseignants dont le rêve et la vision politiques au lieu de reproduire l’idéologie de la classe dominante, lui font perdre son prestige et voilà la raison pour laquelle la classe dominante trouble ce rôle-là de l’enseignant, cette réalité, et nous rend des myopes ; parce qu’elle fait de nous des myopes. La tâche de l’enseignant progressiste dans les écoles doit être l’effort de rendre la réalité transparente et claire.
En même temps, sûrement l’enseignant soigne nos yeux ; il nous fait voir plus clairement, ou mieux encore, il nous offre une bien meilleure possibilité de voir mieux.
Voir mieux la réalité de la façon la plus critique possible, d’un œil critique ; voilà pourquoi notre éducation est toujours politique.
Pour nous la question est de savoir de quelle politique il s’agit. C’est ce que nous devons connaître ; ou bien, si vous voulez, nous devons savoir qui elle favorise ; cette politique est développée pour aider qui, ou contre qui et à quoi ?
Il fait donc de la politique et en même temps de l’éducation ; il a encore à faire à l’État et à présent je me rapporte à Poulatzas.
À ce point-là, je dois vous confier que je n’aime pas beaucoup l’État ; pourtant je ne le nie pas, je ne le rejette pas.
Je dirais que si nous avons un choix progressiste, nous devrons couvrir ces domaines ou bien, si vous voulez, les théories que nous avons. Historiquement, de temps en temps, le mécanisme de l’État, le mécanisme bourgeois de cet état se trouve entre nos mains, non par la volonté de sa force dominante, mais parce que ces choses-là arrivent parfois dans l’histoire ; et pour moi la question est comment l’utiliser. Par exemple, actuellement au Brésil nous nous trouvons en face d’une situation pareille ; nous avons quelques hommes politiques plus progressistes que les autres dans le pays. J’essaie toujours de les aider, indépendamment du parti auquel j’appartiens personnellement. S’il s’agit de mon parti, j’y vais de toute façon, mais quand il s’agit d’un autre parti progressiste, s’il y a un domaine, une possibilité pour travailler, j’y vais moi aussi et je travaille avec cette possibilité, je mets en œuvre alors mon devoir politique et pas celui de l’enseignant. Dans ce cas-là je suis politique parce que je suis enseignant. Voilà la différence.
Bien sûr, je ne peux pas ici faire de la politique, mais je peux en parler.
Je ne peux pas agir politiquement ici, parce que je respecte les pays étrangers dont je suis l’hôte, ou dans lesquels je me trouve ; dans mon pays pourtant je parle et je fais et je dis toujours aux progressistes quand ils sont responsables, comme par exemple les ministres ; je leur dis alors que s’ils acceptent d’être des ministres et qu’ils sont heureux d’avoir ce poste, à mon avis ils ne travaillent pas assez.
La seule façon de faire quelque chose de très bien en ce qui concerne l’avenir de ce pays et son histoire, c’est de se considérer comme une sorte d’envahisseur dans le mécanisme de cet État, parce qu’essentiellement on fait une invasion, on occupe un domaine et pour le faire on ne doit pas nourrir le rêve d’être réélu au sénat pendant les prochaines élections.
Je reconnais que pour le faire on doit renoncer à sa carrière. Pour moi, c’est un très bon point de départ pour une carrière. Si on a vraiment choisi d’être pour le peuple, populaire et pas démagogue.
Nous nous rapportons au peuple, nous parlons du peuple, mais nous ne parlons pas avec le peuple.
Quel est le rôle de l’éducation en cela ? C’est exactement ce que mon ami, M. Ghérou, a dit : l’enseignement et j’y comprends aussi l’analphabétisme des enfants et des adultes, d’une part n’est pas un levier pour le changement, comme vous l’avez très bien dit M. Ghérou. Cependant d’autre part ce changement exige et présuppose l’enseignement.
Nous, enseignants, nous n’avons pas la possibilité de ne rien faire. Je soutiens toujours que dire que l’éducation ne peut rien faire, c’est en réalité la meilleure justification qu’on a pour ne rien faire vraiment. Ce ne sont pas là les paroles de l’enseignant progressiste.
Pour finir, je dois dire de commencer ma promenade dans votre pays ; pourtant ce qui m’a frappé c’est qu’il est le premier pays dans le monde entier où j’ai été accueilli par des femmes seulement, chose dont je suis bien content, parce que partout dans le monde je suis accueilli par des hommes bien sérieux qui me conduisent à des hôtels.
Tandis qu’ici, j’ai été accueilli par de belles femmes très compétentes et je dois remercier la Grèce pour cette joie ; dès mon retour je le raconterai au Brésil et aux Brésiliens.
Je suis très heureux et je vous remercie beaucoup.