Références

Catégories : Articles et lettres / Autobiographie

Notes : il s’agit d’extraits de l’article « School or scandal», dans la revue Risk, Genève, volume 6, n°4, 1970.

Méthode [2]

Au Brésil, quand je pensais aux possibilités de développer une méthode avec laquelle il serait possible pour les hommes, pour les analphabètes, d’apprendre facilement à lire et à écrire, j’ai trouvé que la meilleure manière n’était pas de défier l’esprit critique, la conscience critique de l’homme, mais (il est très intéressant de voir comment j’ai changé) d’essayer de mettre dans la conscience des gens quelques symboles associés à des mots. Et, dans un second temps, de les défier critiquement pour redécouvrir l’association entre certains symboles et les mots, et ainsi appréhender les mots.

Je me rappelle que j’invitai une vieille femme très gentille une paysanne analphabète qui travaillait chez nous comme cuisinière. Un dimanche je lui dis: « Écoute Maria, je cherche une nouvelle manière d’apprendre à lire à ceux qui ne savent pas lire et j’ai besoin de toi. Veux-tu m’aider dans cette recherche? Elle accepta. Je l’invitai dans ma bibliothèque et je projetai un dessin avec un garçon, et, sous ce dessin, il y avait écrit en portugais « menino », ce qui veut dire « garçon ». Je lui demandai : « Maria, qu’est-ce que c’est ? « Elle dit : « menino, c’est un garçon, un menino ». Je projetai un autre dessin avec le même menino, mais orthographiquement le mot menino était écrit sans la syllabe médiane – donc meno au lieu de menino -. Je lui demandai : « Maria, est-ce qu’il manque quelque chose ? « Elle me dit : « Oh oui, le milieu manque! « Je souris et lui montrai un autre dessin avec le même menino, mais orthographiquement écrit sans la dernière syllabe – seulement meni -. Je lui demandai de nouveau: « Est-ce qu’il manque quelque chose? » – « Oui, la fin! »

Nous avons discuté pendant un quart d’heure environ des différentes possibilités avec menino – menino, meno, nino, meni, etc … – et chaque fois elle saisissait la partie du mot qui manquait. Enfin, elle me dit: « je suis fatiguée. C’est très intéressant, mais je suis fatiguée ». Elle pouvait travailler vraiment toute la journée, mais cependant après dix ou quinze minutes d’un exercice intellectuel, elle se fatiguait. C’est normal. Mais elle me demanda : « Pensez-vous que j’ai pu vous aider? « Je lui répondis: Oui, tu m’as beaucoup aidé parce que tu as changé ma manière de voir ». Elle dit : « Merci ». C’est formidable le pouvoir de l’amour.

Alors elle quitta ma bibliothèque et cinq minutes après revint avec une tasse de café. Quand je fus seul, je repensai ma première hypothèse en fonction de cette dernière expérience. Je découvris que ce qu’il fallait c’était défier, dès le début, l’intentionnalité de la conscience, c’est-à-dire le pouvoir de réflexion de la conscience, la dimension active de la conscience et non pas faire comme je pensais avant. Je crois que c’est un très bon exemple pour montrer comment il faut réfléchir constamment et changer au cours de la recherche dans laquelle nous sommes engagés. Ainsi, avec cet exemple très simple de Maria, je fus convaincu qu’il faudrait procéder autrement, il faudrait défier la conscience critique dès le début. Quelques jours plus tard, après cette expérience avec Maria, je commençai avec un groupe de cinq hommes, mais cette fois-ci en les défiant d’une manière critique.

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